La police de caractère de David Merveille

L’illustrateur et dessinateur David Merveille (qui a réalisé entre autres les bandes dessinées Alessia, et Amore aux éditions Delcourt) m’a confié récemment la réalisation de sa police de caractère, sur base de la numérisation de son lettrage.
J’ai proposé d’intégrer des variations, et nous avons donc 3 versions de chaque lettre présente dans la police de caractères, qui se présentent automatiquement en cas de proximité ou de répétition des lettres, grâce à la fonction CALT d’OpenType. Sans devoir rien faire soi-même, ce qui, vous en conviendrez, est un luxe bien plaisant, et rappelle bien entendu le côté aléatoire de l’écriture manuscrite. Ce processus est expliqué en détail dans un article sur mon blog.
Ces variantes contextuelles sont appliquées par défaut en InDesign, dès lors que la police en contient:

CALT

Processus de création

suite texte
Et je suis ensuite tombé sur un deuxième problème, c’est que le processus de vectorisation d’illustrator 2025 donne bien moins de points d’ancrage que celui d’Illustrator 2024! Je suis repassé, sur les conseils de l’experte en Illustrator Monica Gause, sur une base de 6000 pixels par 24000, en perdant quand même au passage de la résolution, et donc de la précision dans ma vectorisation.
Pour la création  à proprement parler de la police de caractères, moi qui travaille en Glyphs 3 depuis bien longtemps, je suis d’abord passé par FontLab 8 (mes anciennes amours), parce que j’ai trouvé bien plus efficace de copier les lettres depuis Illustrator dans FontLab que dans Glyphs. J’ai poursuivi la création des lettres alternatives dans FontLab. Glyphs, qui a une gestion très simple des groupes de crénage, m’a été utile ensuite pour cette étape.
Pour tester la police, sur les conseils des créateurs de Glyphs, j’ai travaillé en ligne avec FontGauntlet. Cela évite de charger la police de caractères pour l’utiliser ; ce site a parfois des problèmes pour reprendre le crénage présent dans la police, donc j’ai utilisé comme alternative le truc du dossier Font dans la bibliothèque du système de l’OS, qui permet d’éviter les problèmes de cache de police.

 

Bas de casse ou capitales?

comparaison
Une fois le stade du crénage et des tests dépassé, j’ai envoyé ma police à David; s’est posée alors la difficile question de choisir de travailler en minuscules ou majuscules…
Que dit la typographie concernant cela; qu’est-ce qui serait le plus lisible: bas-de-casse ou capitales?
Des études expérimentales en psychologie de la lecture montrent que la composition en bas-de-casse (minuscules) facilite effectivement la lecture longue par rapport à l’usage des capitales (majuscules).
« Au sein de notre culture, les expériences montrent que les bas de casse romains, les minuscules verticales sont les plus lisibles  (lien)».
Ces études s’appuient notamment sur des tests de vitesse et de compréhension de lecture : les textes en minuscules permettent une lecture plus rapide et moins fatigante, car la forme variée des lettres (avec hampes et jambages) crée des silhouettes de mots distinctes, ce qui facilite la reconnaissance globale des mots. Les capitales, ayant toutes la même hauteur, rendent les mots plus difficiles à distinguer rapidement.
Les expériences de laboratoire (par exemple avec un tachistoscope) confirment que la productivité du processus de lecture ne dépend pas de la taille du caractère au-delà d’un certain seuil, mais que la forme (squelette) des caractères joue un rôle crucial. Les minuscules, grâce à leur diversité de formes, sont plus efficaces pour la lecture continue.
Voici quelques raisons pour lesquelles les minuscules sont souvent préférées :
  • Forme et Variation : Les minuscules présentent une plus grande variété de formes et de hauteurs (avec les ascendantes et descendantes), ce qui aide le lecteur à reconnaître les mots plus rapidement. Par exemple, les lettres « b », « d », « h », « k », « l » ont des ascendantes, et les lettres « g », « j », « p », « q », « y » ont des descendantes.
  • Familiarité : La majorité des textes que nous lisons quotidiennement (livres, articles, etc.) sont en minuscules. Nos yeux et notre cerveau sont donc plus habitués à lire des textes en bas-de-casse.
  • Confort Visuel : Les minuscules sont généralement moins denses visuellement que les majuscules, ce qui peut réduire la fatigue oculaire lors de la lecture de longs textes.
  • Ambiguïté Réduite : Certaines lettres majuscules peuvent se ressembler, comme « I » (i majuscule) et « l » (l minuscule), ce qui peut créer de la confusion. Les minuscules, avec leurs formes distinctes, réduisent cette ambiguïté.

Néanmoins, il faut bien reconnaître qu’en bande dessinée… l’usage est essentiellement celui des capitales!

Hormis les classiques, comme Hergé, Jacques Martin, Jacobs, etc on part très vite vers les capitales, et ce presque à la même époque : Franquin, Uderzo, Tillieux, Morris. On pourrait presque dire que l’école de Marcinelle, les dessinateurs de Spirou, ont été vers les capitales, tandis que les dessinateurs du journal de Tintin conservaient les bas-de-casse. Il y a bien sûr des exceptions, des dessinateurs comme Cosey, ou Tardi, par exemple, dont le lettrage célèbre est dû à Anne Delobel.

Il apparaît que deux raisons ont déterminé cet état de fait : une plus grande facilité à dessiner des lettres capitales, et tout simplement l’habitude des lecteurs, qui ont appris à lire avec les bandes dessinées, que ce soit Astérix à mon époque ou les mangas maintenant. Rappelons que même si les capitales sont moins lisibles, c’est l’habitude qui compte; pensez un instant aux Allemands des années 20 et 30, habitués à lire en lettres gothiques dès leur plus jeune âge…

Pour conclure, nous avons, après plusieurs tests, choisi les bas-de-casse. En effet, nous avons eu une ultime réflexion, avec l’aide du dessinateur Philippe Dupuy, à savoir que certaines formes de lettres (bas-de-casse, capitales) correspondent tout simplement plus à certains types de dessin, et que le côté ligne claire du dessin de David se mariait plutôt avec les bas-de-casse.