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Les avis divergent franchement quant à l’utilisation de cette fonction d’InDesign. Pour expliquer à quoi cela sert, il faut partir de la fenêtre de justification qui permet de paramétrer les espaces entre les mots, entre les lettres, et donc, la mise à l’échelle des glyphes, dans le but donc d’obtenir un beau gris de texte en InDesign.

justification en InDesign

justification en InDesign

Rappel : la justification en typographie ancienne

Quand Gutenberg (tout commence avec Gutenberg, dit-on) pratique la composition de la bible, que cherche-t-il réellement? En fait, un espacement le plus régulier possible entre les lettres :
715px-Gutenberg_bible_Old_Testament_Epistle_of_St_Jerome-cut
Comme vous pouvez l’observer, ce n’est pas réellement justifié. On observe une ponctuation flottante du plus bel effet. Par contre, Gutenberg avait créé tout un arsenal de ligatures, d’abréviations et de formes alternatives de lettres (plus étroites parce que légèrement tronquées par exemple) qui lui permettaient de calculer sa justification et d’arriver à un très beau gris de texte, et surtout un espace entre les mots d’une régularité incroyable… Retenons cela.

Les algorithmes de justification modernes

Il faut quand même se souvenir que lorsque la PAO, alors nommée DTP, apparaît avec PageMaker, les mises en pages réalisées sur ordinateur sont stigmatisées — à cause de leur gris typographique, jugé par les typographes de tout poil comme amateuriste ou juste excécrable… Et pourtant quelques aficionados repèrent les réglages d’espacement dans PageMaker :
spacing attributes pagemakerQui sont par défaut relativement mauvais, et on en retrouvera la trace ensuite dans InDesign…
Au début des années 1990, le calligraphe et créateur de caractères Hermann Zapf s’est associé à Peter Karow et Margret Albrecht de l’URW pour développer un programme de composition capable de reproduire la qualité de la Bible de Gutenberg. Le programme dit « hz » combinait les avantages de l’algorithme de Knuth et Plass avec un autre paramètre : la variation de la largeur des lettres.
Cette technique de « mise à l’échelle des glyphes » ne consiste pas à faire varier l’espace entre les lettres, mais à modifier la taille des lettres elles-mêmes : il s’agit de comprimer ou d’élargir les formes. La technologie du programme hz a finalement été achetée par Adobe, probablement dans le but de l’intégrer à Adobe InDesign.
Alors une polémique subsiste par rapport à cette fonction, ce qui fait que de nombreuses personnes dénoncent cette mise à l’échelle de glyphes en expliquant qu’InDesign déforme horizontalement les lettres et ne compense pas les différences de largeur de trait des tiges verticales, ce qui donnerait des lettres avec un contraste bizarre et des formes terribles. Peter Karow et Hermann Zapf compensaient toujours ces distorsions et conservaient la largeur de la tige d’origine – la lettre « i » ne pouvait donc pas être mise à l’échelle du tout, la lettre « m », en revanche, était assez facile. (source : Johannes Ammon). Plusieurs autres refusent de l’utiliser, comme l’auteur Pierre Ruiz dans ses formations.
Deux questions se posent par rapport à cela.
  • Comment InDesign gère-t-il réellement la mise à l’échelle des glyphes ?
  • Dans quelle mesure la mise à l’échelle des glyphes est-elle «pire» que l’interlettrage?

La surprise d’InDesign pour la mise à l’échelle des glyphes

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cette mise à l’échelle n’est pas du tout un processus de mise à l’échelle horizontale standard, qui élargirait la forme de la lettre de façon globale. Il semble d’après mes essais qu’au contraire, les fûts des lettres sont préservés…
Dans l’exemple du gif animé ci-dessous, le noir est le texte de base, tout à 100 %, alors que le texte en bleu a comme paramètres de justification ceci, ce qui est exagéré bien entendu :
justif
Et voilà le résultat :
glyph scaling
Le seul paramètre dont dispose InDesign pour justifier le texte dans cette justification très étroite est donc la mise à échelle du glyphe. Je force donc l’élargissement pour en constater les effets.
Et ce que l’on observe… c’est qu’InDesign élargit clairement la lettre (en bleu donc) en modifiant très peu les fûts des lettres ! Cela doit correspondre à une mise à jour d’InDesign, car cela contredit clairement plusieurs tests réalisés par Johannes Ammon ou par le typographe norvégien Torbjørn Eng.

Mise à l’échelle ou interlettrage, quel est le pire ?

Donc testons également le ressenti, en comparant interlettage et mise à l’échelle…

comparaisonCeci demande débat, mais pour moi, à des valeurs similaires, l’interlettrage est plus voyant que la mise à l’échelle, CQFD. Et clairement, dans des textes justifiés en corps de lecture, la mise à l’échelle peut reprendre toute sa place, et certainement pour combattre l’espace intermots qui pour moi est le pire, celui qui justement ne doit être modifié que quand on ne peut vraiment plus faire autrement, confere… Gutenberg ! Pourquoi donc ne pas essayer de diminuer l’espace intermots, bien au contraire des réglages par défaut d’InDesign… Si l’on prend ces réglages ci-dessous, cela pourrait donc bien aller dans ce sens :

new justif